La notion de forme continue à susciter des débats théoriques dans les études littéraires et dans l’esthétique. Qu’est-ce qu’une forme, au juste? Le consensus sur une définition n’est pas près de s’imposer, d’autant plus que les théoriciens qui s’intéressent à cette notion ont des formations disciplinaires diverses (en linguistique, lettres ou philosophie) et peinent souvent à s’entendre. Comme l’a rappelé récemment Patrice Maniglier dans une défense vigoureuse du formalisme russe (et de Chklovski en particulier), la notion de forme se trouve prise dans des dialectiques qui l’opposent, initialement au moins, à une série de termes contraires : la signification, la matière, la fonction. Maniglier lui-même prend une position anti-fonctionnaliste : « la forme est ce qui se produit en se soustrayant à toute fonction ». Cependant, il paraît que la forme produite concourt à ce qui était, pour Chklovski, la fonction suprême de la littérature, celle de rendre étrange ce qui est devenu trop familier : « La forme n’est pas la partie de l’œuvre soustraite à la signification, mais celle qui arrête le processus de la reconnaissance, précisément parce qu’elle a un caractère différentiel. »